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La petite Julie

29 Oct

Il avait 12 ans. Peut-être 14. Pas plus. Il traversait la rue en zigzaguant, son manteau trop grand flottant autour de son corps trop maigre. Des boucles rousses tombaient devant ses yeux. Il s’est avancé vers nous, la main tendue. A bifurqué vers d’autres passants. Mon ami a fouillé dans sa poche, s’est approché de lui. « T’as pas fait ça, man? T’as pas fait ça? »  Il a dit ça en bafouillant. S’est enfui avec son maigre butin. S’est enfoncé dans une ruelle.

J’ai repensé au rouquin depuis. Parfois, il s’infiltre dans ma tête, jusqu’à ce que sa silhouette s’évanouisse dans la pénombre d’une rue crade.

Puis, ce sont des souvenirs qui ressurgissent.  Plus anciens. Plus douloureux.

C’était en novembre. C’était il y a treize ans. La petite Julie avait disparu. Ce soir-là, elle est partie de la maison de jeunes où travaillait mon amie et elle n’est jamais rentrée chez elle. Personne n’a cru à une fugue. Pas la petite Julie. Pas cette jolie fille débordante de vie. Pas cette amoureuse emplie de gaieté. Pas elle.

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Montréal, rouge de monde

10 Juin

Nuit blanche sur tableau noir, sur l’avenue Mont-Royal, à Montréal.

Aujourd’hui, j’ai parcouru l’avenue Mont-Royal, traversé le parc Laurier, le parc Lafontaine, arpenté le site des Francos, j’ai même pris le métro vêtue de ma robe rouge. Audace.  J’ai croisé plein de carrés rouges, des touristes aussi. Personne ne s’est sauté dessus, au contraire, les gens se souriaient.  Croyez-vous ça. Les touristes prenaient des photos, faisaient du lèche-vitrine, pratiquaient leur français, la peau rougie par le soleil. Les carrés rouges déambulaient paisiblement dans LEUR ville, partageaient des pique-niques , s’appropriaient les terrasses.  Il faisait beau, il faisait chaud. C’était l’été comme on l’aime à Montréal. Animé. Vivant. Festif.

C’est aussi et surtout ça, Montréal.

En cette fin de semaine de Grand Prix, alors que le délire atteint sa pleine démesure, que les images de violence crèvent l’écran et que les récits d’abus de pouvoir me donnent la nausée…  En cette fin de semaine aussi sombre que lumineuse, ça serait l’fun d’en parler.

Au nom de ma casserole

29 Mai

Je regarde l’heure sur la cuisinière. 19h58.

Cling. Cling. Clang. Cling.

Les premières casseroles se font timidement entendre dans la ruelle. Le coeur battant, je ramasse mes armes: appareil photo, bouchons pour les oreilles, casserole et cuillère de bois. Le chat est rentré, apeuré par le bruit. Gentil chat. Je pars. Je me rends au point de rassemblement, mes armes bien cachées dans ma besace. Au coin de la rue, je sors cuillère et casserole.

Clang. Clang. Cling. Cling. Cling.

Clang. Clang. Cling. Cling. Cling.

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La vieille

26 Mai

C’était un vendredi. Une journée de printemps qui vous déshabille, du matin emmitouflé dans votre p’tite laine au milieu d’après-midi à moitié nu sous les rayons du soleil. J’avais pris congé. Pour rien. Parce que mon corps et mon esprit réclamaient une pause, un passage à vide, un trou noir dans lequel être aspirés. Parce qu’ils me disaient que si je ne m’arrêtais pas, ils m’entraîneraient au pied du mur. Peut-être même dedans.

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La rage

26 Avr

Je n’ai ni la prétention ni l’intention de faire un blogue politique. Le sujet est beaucoup trop complexe, et mes connaissances trop limitées pour oser m’y attaquer. À peine ce blogue est-il engagé parfois, quand l’horreur  exige une prise de parole, un cri rauque ou un murmure brisé.  Mais ce doute toujours qui m’assaille. De quel droit est-ce que je m’exprime? Comment puis-je affirmer que mon opinion est plus importante, plus valable qu’une autre? Et dans ce monde pluriel qui est le nôtre, qui peut se targuer de détenir la vérité absolue?

Ce blogue ne parle pas de politique. Non. Mais j’ose croire qu’il parle un peu d’humanité. Et c’est de celle-ci que j’ai envie de causer aujourd’hui. De l’humanité qui s’enfuit comme le sang du poignet d’une suicidée, comme les grains du sablier, comme un chien devant la tempête.

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Balbutiements

1 Avr

Sur le trottoir, les tables et les chaises s’alignaient le long du mur. Ça lui rappela Paris. Une rue tranquille, quelques restos sympas, des promeneurs arrêtés pour siroter un café, le soleil, et cette table juste pour elle. Elle entra, commanda un capuccino et un grilled-cheese, celui au brie, avec des artichauts et des champignons. Elle ressortit. Sa place l’attendait. Elle s’assit, glissa ses sacs sous la table en tassant du pied les bouts de papier souillés, les mégots encore humides,  les restes de l’hiver. Elle arracha ses lunettes de soleil à sa chevelure rebelle, les planta sur son nez. Elle inspira profondément en rejetant la tête vers l’arrière. Le soleil la réchauffait. Elle déboutonna son manteau, dénoua mollement son écharpe, admira ses ongles oranges, peints le matin même pour ajouter une touche de couleur, un brin de folie à sa tenue.  Son ode toute personnelle au printemps. La serveuse sortit à son tour, déposa le verre de café sur la table. Elle prit une gorgée. Il manquait quelque chose. Elle se pencha, farfouilla dans son sac l’air consciencieux.  Se releva. Dans sa main, elle tenait La foi du braconnier, de Marc Séguin. La couverture immaculée luisait au soleil. Elle porta le roman à son visage, l’huma. Elle aimait l’odeur des livres. Elle raffolait de ce léger craquement qui se faisait entendre lorsqu’on ouvrait un livre pour la première fois. Elle adorait aussi la première phrase d’une histoire. Elle la savourait comme on déguste la première bouchée d’un plat exotique, à la recherche des harmonies des parfums, des subtilités des épices.  « Le lendemain matin, je n’étais pas mort. »

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Le rire du dumpling

28 Jan
Dumplings.

(Photo: thepathtraveler / FreeDigitalPhotos.net)

Quand on les dépose sur la langue et qu’on appuie doucement les lèvres l’une contre l’autre, c’est là que ça se produit.  L’explosion de saveurs. La sauce piquante qui vient chatouiller les papilles sur les côtés de la langue, le bouillon qui emplit la bouche, la pâte qui résiste juste ce qu’il faut, les ingrédients qui se mélangent, tout en gardant chacun leur parfum unique.  J’ai humé, savouré, aspiré, croqué, mastiqué longuement, fermé les yeux,  soupiré de bonheur.

Maintenant, je suis debout devant la caisse et j’attends pour payer. À ma gauche, la cuisine. Un petit comptoir sur lequel j’ai regardé s’empiler les paniers débordants de dumplings encore fumants. Au-dessus, une étroite ouverture. Je ne vois que les mains des cuisinières s’affairer. Leurs visages sont cachés. J’observe des mains menues s’emparer d’une rondelle de pâte, l’étirer du bout des doigts, y déposer un peu de garniture, au centre, avec un bâton plat. Les mains replient la pâte. Elles en humidifient légèrement le pourtour, puis, à l’aide du bâton, referment le tout, en imprimant un motif de vagues sur le contour de la demi-lune ainsi formée.  Puis les mains reprennent une autre rondelle, un peu de garniture, et elles recommencent inlassablement les mêmes gestes, délicats et précis. Tout va tellement vite, et pourtant, à les regarder, le temps ralentit imperceptiblement.

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Les voisins en instantanés

8 Jan

LE VOISIN

2007.

Le voisin d’en arrière est sur son balcon. Il étend ses vêtements sur la corde à linge. Entre deux t-shirt, il tourne les pages d’une revue. De ma cour, j’entends le grincement de la poulie.

2009.

C’est l’été. Un verre de vin rouge à la main, le voisin fait du BBQ. À ses côtés, une jolie brunette rit entre deux gorgées.

2010.

La jolie brunette étend des vêtements sur la corde à linge. Les robes fleuries égaient maintenant les t-shirts monochromes. La poulie ne grince plus.

2011.

C’est l’hiver.  Le soleil fait la grasse matinée. La lumière est allumée chez le voisin. Il se tient debout devant la fenêtre. Dans ses bras, un minuscule bébé. J’ai l’impression qu’ils m’observent tous les deux.

LA VOISINE

2007.

Les voisins d’en arrière sont dans leur cour. Il fait du BBQ. De mon balcon, je sens l’odeur de la viande grillée. Elle arrache des mauvaises herbes entre deux gorgées de vin blanc.

2009.

C’est l’été.  La voisine prend son petit déjeuner dans la cour. Seule. Entre deux bouchées, elle tourne les pages d’une revue.

2010.

La voisine étend ses vêtements sur la corde à linge. Ma blonde dit qu’elle aimerait bien avoir une robe comme celle-là. La troisième en partant du poteau. Tu vois?

2011.

C’est l’hiver.  Dehors, il fait encore nuit. Je tente de rendormir le bébé.  La lumière est allumée chez la voisine. Elle se tient debout devant la fenêtre. Dans ses bras, son chat. J’ai l’impression qu’ils m’observent tous les deux.