L’aveuglement

Il lui a arraché les yeux.

En commençant la lecture de l’article, je m’attendais à la violence usuelle. Il lui avait balancé de l’acide à la figure. Cet acte pourtant immonde, je le réalise maintenant, a été banalisé. Nous avons entendu l’histoire tant de fois. C’est horrible. Comment peut-on être immunisé contre ça? Ne plus frissonner à l’évocation de ce geste? Mais c’est ainsi. « Bon, une autre histoire de femme défigurée » … Comment peut-on dire ça? Penser ça? Je suis la première coupable.

Mais il lui a arraché les yeux. Toute la violence contenue dans cette phrase. Toute la haine. De ses mains nues, il lui a arraché les yeux. Parce qu’elle était trop brillante. Parce qu’elle était libre. Parce qu’elle rêvait les yeux grands ouverts.

Devant leur fille de cinq ans, il  a coupé le nez de sa femme avec ses dents et lui a arraché les yeux avec ses mains. Je sais, je ne devrais pas me complaire à répéter cela ainsi, comme une litanie, comme un mantra, mais je tente d’assimiler la hargne. Je ne pourrai jamais comprendre. Jamais. Mais je ne veux pas oublier que cela existe. Et ne jamais devenir insensible. Ne jamais me dire: « Pas encore une autre histoire de violence conjugale dans ces pays barbares… C’est normal, ils sont comme ça, eux autres. »  Il n’y a rien de normal a arraché les yeux de l’être aimé, peu importe la culture.

Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur ces atrocités sous prétexte qu’elles adviennent dans un pays lointain. Nous ne pouvons pas nous bercer de l’illusion qu’eux et nous sommes différents. Nous ne pouvons pas prétendre que la cruauté se déroule ailleurs. Toujours ailleurs. La violence est aussi ici. Le monstre est en chacun de nous.  Et nous devons le regarder droit dans les yeux de crainte qu’il ne nous échappe.