Lettre à la jeune fille au nez coupé

20 Août

Chère Aisha,

Je me permets de t’écrire comme à une amie. Pardonne-moi si je m’immisce ainsi dans ton intimité. Tu m’es inconnue, ta vie est à des lieux de la mienne, mais j’ai l’impression de te connaître. Peut-être parce que j’ai vu ta photo partout. Peut-être parce que ton histoire m’a tellement touchée…

Ton image ne me quitte pas. Il y a quelques années, c’est la photographie de mariage d’un soldat qui m’a hantée de la sorte. Ce que ces hommes, ce juge, ton beau-frère, ton mari, oui, ton mari, ce que ces hommes t’ont fait est terrible. Il n’y a pas de mots pour décrire l’horreur. Des barbares. Tous des barbares. C’est ce qu’on a dit, c’est ce que j’ai lu. Oui, c’est vrai, des barbares. Mais encore. Comment exprimer ce que je ressens à la vue de ton visage. Je ne sais pas. Je ne trouve pas les mots. Mais j’admire ton courage. J’admire ta dignité. J’admire ta force. Tu es belle, Aisha. Tu sais que tu es belle malgré ce trou au milieu de ton visage? Tu es magnifique. Et j’espère qu’ils sauront te reconstruire. Et que tu seras heureuse, Aisha.

Et voilà que dans le pays voisin du tien, au Pakistan, des inondations détruisent tout. Quinze millions de sinistrés. Besoin d’eau. Besoin de nourriture. Risques d’épidémies. Une catastrophe naturelle. Un désastre humanitaire. Mais vois-tu, cela a lieu au Pakistan. Et le Pakistan est un pays corrompu. Un pays armé jusqu’aux dents. Alors, le monde détourne les yeux. Parce que le monde n’aime pas le Pakistan. Parce que le monde se dit que le Pakistan n’a qu’à se débrouiller tout seul. Je simplifie, je sais. Mais je ressens un profond malaise ces jours-ci à lire ces témoignages de gens qui ne donneront pas pour le Pakistan. Et qui en sont fiers. Qui font les coqs. Est-ce que j’ai fait un don pour le Pakistan? Non. Non, je n’ai pas donné. Oui, je me pose les mêmes questions. Je me demande si mon argent ira au bon endroit, si ça sert vraiment à quelque chose de donner. Non, je ne suis pas mieux qu’eux. Mais, moi, je n’en suis pas fière. J’ai honte de mes questionnements. Mon manque de générosité me trouble, mon malaise est profond. Pardonne-moi, Aisha. Pardonne mon regard d’Occidentale habitée de préjugés.

Est-ce que tu te rends compte Aisha? Est-ce que tu réalises que si tu avais été victime de la fureur de la nature plutôt que de la barbarie des hommes, personne ne se soucierait de toi. Car ceux qui hurlent au scandale en voyant ton visage sont les même qui refusent de voir la misère du peuple d’à côté. Ceux qui scandent que nos soldats ne doivent pas quitter ton pays afin de te protéger sont les mêmes qui refusent de porter secours à tes voisins. Je sais, Aisha, je sais, je mélange tout, tu as raison. Qui suis-je pour prétendre te connaître, qui suis-je pour faire la leçon à qui que ce soit. Je vais m’arrêter ici.

Aisha, je ne sais plus pourquoi je t’écris cette lettre. Je crois, Aisha, que je voulais simplement te dire que je pense à toi.

Prends soin de toi Aisha,

Paula

Aisha en couverture du Time.

Aisha en couverture du Time.

4 Réponses to “Lettre à la jeune fille au nez coupé”

  1. grenouille verte samedi 21 août 2010 à 08:39 #

    quel courage tu as d’écrire cette lettre ! bravo à toi et à tes belles valeurs xxxje pense à elle aussi !

  2. Paula dimanche 29 août 2010 à 10:29 #

    Voilà. J’ai donné. Il n’y avait plus d’autre choix possible.

  3. aicha dimanche 22 Mai 2011 à 02:43 #

    salam aicha ! oh allah ! kan g vu ta photo g pleurer celui ki ta fe ca aura des comptes a rendre le jour du jugement qu allah t aide dans tes dificutes si tu ve bien j aimerai etre ton amie inchallah !

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  1. L’aveuglement « La vie en instantanés - samedi 25 juin 2011

    […] à l’évocation de ce geste? Mais c’est ainsi. « Bon, une autre histoire de femme défigurée« … Comment peut-on dire ça? Penser ça? Je suis la première […]

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