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Un vieux monsieur dans le trafic

6 Juin

Des vélos dans la ville

8h, vendredi matin. J’attends la lumière verte au coin de Milton et St-Urbain.  À ma droite, devant moi, derrière moi, d’autres cyclistes. Une fille porte une jolie robe imprimée. Son vélo est orné d’un panier en osier dans lequel repose un sac à main argenté. Un sportif exhibe ses cuisses bien moulées dans ses cuissards, et piaffe d’impatience. Un autre n’a pas honte de ses bas bruns remontés bien haut sur ses chevilles pour retenir le pantalon de la même teinte. J’observe tout ce beau monde, contemple les autos passer, une blonde dans une Volskwagen, un couple dans un VUS, un homme et son main-libre, une femme et son rouge à lèvres. Soudain, à ma gauche, je découvre un vieux et frêle  monsieur. Je ne l’ai pas vu arriver. Il est tout près de moi. Il semble fixer un point droit devant lui, droit devant nous. Ses yeux bleus sont exorbités et voilés par la cataracte. Il ne tourne jamais la tête vers moi. Pourtant, lentement, il se rapproche. Bientôt, nos épaules se touchent. Je le regarde, étonnée. Il ne me parle pas, et je ne sais pas quoi lui dire. Il me donne la chair de poule. J’ai peur de déclencher quelque chose en lui adressant la parole. Des cris, une baffe, une crise, des insultes, un horrible malaise. Alors, nous restons ainsi, épaule contre épaule. La lumière vire enfin au vert. Ça m’a semblé une éternité. Je repars doucement, je ne voudrais pas qu’il tombe. Je ne me retourne pas. Mon coeur bat vite. Je pousse un soupir. Je ne comprends pas très bien ce qui s’est passé, mais c’était terriblement bizarre.

Elles étaient roses

14 Avr

18h. Sur la piste cyclable qui traverse le parc Laurier. La piste a enfin réussi à émerger de la neige. Cyclistes, joggeurs et chiens se l’approprient pour une première fois. Devant moi, un jeune homme, dans la vingtaine, un peu grassouillet. Je ne vois pas son visage. C’est ainsi sur les pistes cyclables. On suit quelqu’un, on a le temps de détailler les muscles des cuisses (avec un peu de chance!), les chaussures, le sac à dos, la coupe de cheveux (s’il s’agit d’un cycliste imprudent, comme moi), mais jamais le visage. Parfois, je peux suivre la même personne des jours, voire même une saison entière, et ne jamais voir son visage. C’est dommage de se tourner le dos ainsi.

J’ai donc ce jeune homme devant moi, à l’allure nonchalante, la casquette à l’envers, le manteau qui baille au vent, le pantalon trop grand, et soudain, ça me frappe. Je détourne les yeux. Je ne veux pas voir ça, je ne peux pas voir ça. J’étais en train de me dire qu’on devrait se parler, se saluer, vivre en communauté, vraiment vivre ensemble, comme il se doit, comme le village qu’est au fond ma ville, et là, ça. Je ne veux pas le voir, mais mon regard y revient, je ne peux m’en empêcher. Je ne peux pas croire. Mon voisin d’en face, celui avec lequel je songeais à tisser des liens, retire une main de son guidon pour remonter son pantalon trop grand. Il fait bien, je vous jure qu’il fait bien. Mais c’est peine perdue. Son pantalon ne sera jamais assez grand pour cacher ça. Des bobettes de grand-père. Vous savez, ces caleçons de coton avec les bandes blanches? Entre le manteau trop court et le pantalon trop grand, elles étaient là, éclatantes, évidentes, immanquables. Des bobettes de grand-père. Et vous savez de quelle couleur elles étaient? Roses. Elles étaient roses.

Plus loin dans le parc, j’ai vu un petit garçon avec un gigantesque casque rouge sur la tête. Il pédalait maladroitement sur son tricycle. « Tu vois », lui disait sa maman, « je t’avais dit que tu étais capable ». J’ai roulé lentement derrière eux.

Pédaler dans la ville endormie

8 Avr

Dans les parcs et les parterres ombragés, la neige prend son temps. Elle n’a pas mis tant d’effort à nous tomber dessus pour se laisser oublier si vite. Protégée par l’ombre fraîche, elle se prélasse et nous nargue au passage. Elle régurgite sacs de plastiques, mégots et vieux journaux pour nous rappeler à l’ordre.  Vendredi, elle a même senti le besoin d’en remettre en nous crachotant dessus.

Mais je ne me laisserai pas intimider. J’ai sorti mon bolide, ma vieille bécane, rouge bien sûr, avec le panier accroché au guidon. J’ai gonflé les pneus, décollé les freins et je me suis lancée à la conquête de la ville, de ma ville.  Car oui, parfois, la ville m’appartient. Elle est à moi. À moi.

Pour le plaisir, hier soir, j’ai pédalé dans la ville endormie, glissant doucement dans les rues de mon quartier.

Il y a moi, mon vélo, la ville silencieuse, le vent dans mes cheveux et le froid qui me pique les joues.

Je suis libre. Libre.

Et demain matin, je dois me lever tôt pour aller travailler.